ager la publication "Recension : Les derniers jours de Muhammad (Hela Ouardi)"
Je viens de terminer un livre, Les derniers jours de Muhammad d’Hela Ouardi dont j’aimerais vous parler.
Attiré par le titre et la présentation, j’ai acheté ce livre (ce qui est assez rare !), je l’ai lu et je dois vous dire que je n’ai pas été déçu. Ce livre est absolument passionnant. Je préfère cependant vous prévenir qu’il touche à un sujet brûlant et qu’il a fait l’objet de violentes réactions. Il a par exemple été interdit au Sénégal.
L’auteur
Hela Ouardi est une universitaire tunisienne. Professeur à l’université Tunis El-Manar, elle est aussi membre associé au Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM-CNRS).
Résumé du livre
Le but de ce livre, comme son nom l’indique, est de retracer les derniers jours de la vie de Muhammad.
Le récit commence avec la bataille de Mo’ta (chapitre 1). Muhammad souhaitait attaquer la Syrie car des Juifs l’avaient mis à l’épreuve. Selon eux, pour prouver qu’il était un vrai prophète, il devait conquérir la Syrie, car c’est là qu’auront lieu les évènements de la fin des temps.
Toutefois, cette bataille, en 629, se solde par une cinglante défaite. Obéissant à l’ordre de Dieu (Coran 8 : 65), Muhammad remotive alors ses troupes pour une deuxième expédition en leur promettant le butin le plus alléchant :
« Attaquez Tabûk et vous aurez en butin des femmes blondes, les femmes des Byzantins ».
En dépit de cela, ses compagnons semblent peu enthousiastes. Finalement, l’expédition qui eut lieu à Tabûk (631), ne déboucha pas sur une réelle bataille. Toutefois, l’épisode est fameux à cause d’un « incident » survenu au retour. Des compagnons, vraisemblablement très proches, de Muhammad tentèrent de l’assassiner. Cet événement est connu sous le nom de «conjuration d’Al-’Aqaba ».
Cette conjuration est souvent mise en lien avec le verset 74 de la sourate 9 : « Ils complotèrent, mais ne réalisèrent pas leur dessein ».
Qui complota ? Ici, il y a une grande divergence entre les sources sunnites et les sources chiites. Les sources sunnites sont très mystérieuses. Certains auteurs osent suggérer des groupes, les Qurayshites par exemple, mais ils sont contredits par d’autres. Tout cela est donc très confus. Les sources chiites en revanche désignent sans ambiguïté les auteurs du complot : ce sont les partisans d’Omar et d’Abû Bakr.
Les sources sunnites reconnaissent cependant que Muhammad connaissaient l’identité des comploteurs, mais qu’il a choisi de ne pas les punir. Comment expliquer une telle attitude alors que Muhammad se montrait extrêmement sévère pour des actes beaucoup moins graves ?
Un deuxième coup dur survint dans la foulée, la mort de son fils unique Ibrahim (chapitre 3). Muhammad effectue alors un pèlerinage d’adieu pour montrer qu’il souhaite progressivement se retirer de la vie publique (chapitre 4).
C’est à ce moment que les chiites situent ce qu’ils nomment le « complot du feuillet maudit » (chapitre 5). D’après la tradition chiite, c’est en effet durant ce pèlerinage que Muhammad aurait désigné Ali comme son successeur. Les autres Compagnons, jaloux de ce choix, auraient alors tenté de tuer le Prophète.
Il faut souligner que cette nomination d’Ali est aussi attestée par des sources sunnites. De manière très explicite par Ibn ‘Asâkir, Muttaqî et al-Râzî. De manière plus vague par de nombreux autres auteurs dont Muslim, Ibn Hanbal et Ibn Kathir.
De plus, un Compagnon très proche de Muhammad, Ubay, disparaît peu de temps après de manière très mystérieuse. Certaines sources affirment qu’il en savait trop… Ce n’est d’ailleurs pas le seul compagnon qui disparaît dans des circonstances troubles.
Un autre événement étrange se produit. Sentant sa mort approcher, Muhammad souhaite rédiger son testament. Au passage, notons que cette information contredit la légende tardive qui veut que celui-ci soit illettré.
Toutefois, Umar, qui deviendra ensuite le deuxième calife et qui était le père d’une des épouses de Muhammad, l’empêche de rédiger ce testament. Cet incident n’est qu’un exemple des nombreuses intrigues qui ont entouré les derniers jours de Muhammad et les premiers après sa disparition. Au cœur du problème : la succession de Muhammad. Qui prendra le contrôle de la communauté (Oumma) ?
L’origine même de la mort de Muhammad est controversée et un chapitre (14) est consacré à cette question. De nombreuses sources anciennes rapportent qu’il a été empoisonné par une juive.
Cette information, gênante, est concurrencée par d’autres sources qui suggèrent qu’il est plutôt mort de maladie. Cependant, cette maladie, la pleurésie, pose elle-même des problèmes, puisque d’autres sources affirment aussi qu’un prophète ne peut pas mourir de cette maladie. On voit donc que l’embarras est grand.
Aujourd’hui, néanmoins, les sunnites ont plutôt tendance à se rallier à l’hypothèse de la maladie, tandis que les chiites adhèrent à l’empoisonnement.
L’année de sa mort pose aussi problème. Les sources musulmanes (tardives) affirment qu’il est mort en 632 (mais elles hésitent sur le jour exact : 28 mai ou 8 juin). Mais des sources non-musulmanes (plus anciennes) semblent attester qu’il était encore en vie en 634.
Dernier fait troublant, après la mort du Prophète, pour calmer la communauté, Abu Bakr fait appelle à plusieurs versets coraniques. Or, personne n’avait entendu ces versets avant qu’Abu Bakr ne les récite.
Pour terminer, je vous propose deux citations
« Mais revenons un instant sur la place occupée par Muhammad aux yeux des premières générations de musulmans, pour qui le Prophète n’était probablement pas l’objet d’un culte sacré. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le traitement subi par ses descendants directs qui sont tous morts assassinés ou dans des conditions obscures. Cette subversion originelle serait restée enfouie dans l’inconscient collectif des musulmans et expliquerait, à notre avis, comme dans un retour refoulé, l’obsession du blasphème chez les musulmans aujourd’hui. C’est sans doute ce sentiment de culpabilité fortement implanté dans l’impensé historique des musulmans qui serait derrière le déchaînement passionnel que suscite aujourd’hui la moindre atteinte à l’image de Muhammad. » (p.220-221).
Enfin, en conclusion de son livre, l’auteur s’interroge :
« Après la mort du Prophète, Abû Bakr et ‘Umar feront ainsi une entrée décisive sur la scène de l’Histoire. Ne sont-ils pas finalement les fondateurs véritables d’une nouvelle religion qu’ils doivent reconstruire sur les ruines d’une croyance primitive qui s’est effondrée brusquement à l’instant même où Muhammad est mort » (p.234).
Avis personnel
Le livre est excellent. Il aborde un sujet important, celui des origines de l’islam. Encore peu traitée, car extrêmement tabou, cette question est pourtant capitale.
Mais ce livre a aussi le mérite d’être simple et accessible, y compris à des non-spécialistes.
Cette accessibilité ne porte cependant pas atteinte au sérieux universitaire de l’ouvrage puisque toutes les affirmations sont étayées par des notes de bas de pages renvoyant aux sources primaires. Ainsi, chaque personne désireuse d’approfondir le sujet peut vérifier les informations données et aller directement consulter les sources.
En conclusion de ma propre recension, je ne peux que recommander cet ouvrage à toute personne qui, quelque soit sa croyance, s’intéresse à l’islam.